2 septembre 2024
écrit par Louis de Diesbach
La technologie semble omniprésente, et la question n'est plus de savoir si nous allons l’adopter, mais bien comment elle évoluera et comment elle sera encadrée. Cette question technologique est aujourd’hui sur toutes les lèvres, des centres de recherche aux entreprises, en passant par les gouvernements. Pourtant, alors que la technologie continue de se transformer rapidement, les perceptions et réactions face à celle-ci sont loin d’être universelles. C’est ici qu’intervient l’importance de la culture dans notre rapport à la technologie.
Récemment, le Boston Consulting Group (BCG) a publié une étude révélant que près de 80 % des travailleurs connaissent ChatGPT. Globalement, la plupart des gens sont conscients des bénéfices de l’intelligence artificielle – qu'il s'agisse de gains en efficacité, de progrès médicaux, ou d'innovations artistiques. Toutefois, les inquiétudes liées aux risques (sécurité des données, impact environnemental, questions éthiques) restent également fortes. On constate que si environ 43 % des personnes interrogées se disent enthousiastes à propos de l’IA, environ 29 % se montrent plutôt anxieuses.
Mais ce qui est particulièrement intéressant, ce sont les disparités géographiques et culturelles que cette étude met en évidence. Les pays du sud – comme la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient ou encore le Brésil – sont systématiquement plus optimistes et moins anxieux vis-à-vis de l’intelligence artificielle générative que leurs homologues du nord. En France, par exemple, la confiance dans l’IA générative atteint difficilement les 40 %, tandis qu’en Inde ou au Brésil, elle dépasse aisément les 50 %.
Ces différences d’attitude face à l'IA m’ont rappelé une autre étude majeure : le "Morale Machine Experiment" du MIT, publié en 2018. Ce projet, basé sur des scénarios hypothétiques pour les voitures autonomes, cherchait à comprendre les choix éthiques et moraux des individus face à des dilemmes. Par exemple, si une voiture autonome devait choisir entre sauver un enfant ou une personne âgée, quelle décision serait jugée moralement acceptable ?
Les résultats ont montré des différences de préférences marquées selon les régions. Dans les grandes lignes, le monde se divise en trois groupes : "l'ouest" (Amérique du Nord et une grande partie de l'Europe), "l'est" (les pays bouddhistes, confucianistes et musulmans) et le "sud" (les pays d’Amérique latine, la France et les pays sous influence française). Bien que ces groupes partagent des principes de base, comme la préférence pour sauver les jeunes par rapport aux plus vieux, leurs priorités divergent significativement. Ces divergences montrent que la perception de la technologie, et de l’éthique qui y est attachée, est profondément ancrée dans les spécificités culturelles.
Ces résultats illustrent que notre relation avec la technologie ne peut pas être uniformisée. La même technologie ne suscite pas les mêmes réactions selon les régions. Les algorithmes des géants de la tech, qui sont souvent les mêmes dans le monde entier, gagneraient à être ajustés pour tenir compte de ces différences culturelles. Stefan Zweig avait bien raison lorsqu'il parlait des dangers de l’uniformisation du monde. Cette homogénéisation risque d’effacer les nuances culturelles et de rendre la technologie inadaptée, voire intrusive, dans certains contextes.
Pour les entreprises, comprendre ces différences est essentiel, que ce soit pour motiver leurs employés, pour adapter leurs produits aux attentes de leurs clients ou pour ajuster leur communication. De même, les gouvernements devraient tenir compte des perceptions technophiles ou technophobes de leurs populations lorsqu'ils mettent en place des réglementations. Dans le monde du business, un chatbot pourrait s’adapter au profil culturel de chaque utilisateur, offrant une expérience plus pertinente et respectueuse.
Adopter une vision internationale de la technologie tout en respectant les spécificités culturelles de chaque région est un enjeu majeur. Que l’on soit une entreprise, un centre de recherche ou un gouvernement, il est indispensable de prendre en compte les particularités culturelles pour établir un lien de confiance avec les utilisateurs et les citoyens.
La technologie a le potentiel de transformer nos vies de manière spectaculaire, mais son succès dépendra de notre capacité à embrasser la diversité des visions et des attentes qui l’entourent. En fin de compte, la technologie ne doit pas être un outil de standardisation mondiale, mais un pont entre les cultures, capable de s’adapter aux valeurs et aux sensibilités de chacun.
Écrit par Louis de Diesbach
Éthicien de la technologie et consultant en IA